Femmes de science : au-delà des barrières
A l'occasion de la Journée internationale des femmes et des filles de science, nous sommes allés à la rencontre de trois femmes porteuses de projets que la Fondation Dassault Systèmes accompagne en France, en Inde et aux Etats-Unis, afin de mieux comprendre la situation et les perspectives des femmes dans la communauté scientifique et technologique.
Proclamée par les Nations Unies, le 11 février marque tous les ans la Journée internationale des femmes et des filles de science. Bien qu’il s’agisse d’une préoccupation de tous les instants, cette journée nous rappelle le rôle essentiel des femmes au sein de la communauté scientifique et technologique, et souligne la nécessité d’une meilleure reconnaissance, représentation et participation de ces dernières.
Malgré les progrès réalisés au cours des dernières décennies, seul un chercheur sur trois dans le monde est une femme, et ce ratio atteint un sur cinq dans des domaines de pointe tels que l'Intelligence Artificielle. Les chercheuses ont également des carrières plus courtes et sont souvent moins bien rémunérées ; elles sont également moins sujettes aux promotions et leur travail est sous-représenté dans les revues scientifiques. Dans le domaine technologique, la situation n'est guère meilleure : les femmes ne représentent que 28% des diplômés d’école d’ingénieur, et 40% des diplômés en informatique.
La persistance d’une telle disparité de genres en 2024 est un appel à l'action lancé à tous les pays du monde pour qu’ils s’attaquent aux nombreuses barrières auxquelles les femmes scientifiques et ingénieures continuent de se heurter. Sensibiliser les filles aux études et aux carrières dans les STIM* dès le plus jeune âge, lutter contre l'autocensure, déconstruire les stéréotypes de genre, créer l’étincelle et susciter l'intérêt grâce à des modèles féminins inspirants sont autant de pistes pour faire avancer les choses. Relever ces défis est une préoccupation quotidienne pour La Fondation Dassault Systèmes, qui soutient notamment l’éducation de jeunes filles issues de milieux défavorisés ou de zones rurales isolées à travers des projets comme ASPIRA en Inde, Girlstart aux États-Unis, ou OSE inGÉ et Les "Cordées de la Réussite" en Europe, dans le but de les aider à poursuivre avec succès des études et une carrière scientifiques.
Trois parcours, trois perspectives uniques au-delà des barrières
Afin de mieux comprendre les défis auxquels elles sont confrontées, nous vous invitons à découvrir le point de vue de trois femmes de science, avec Urva Ishtiaq, étudiante en génie aérospatial et en génie mécanique à l'Université de Clarkson, aux États-Unis ; le Dr. Reshmi Devi T.V, professeure adjointe au Département de Génie Civil du B.M.S. College of Engineering en Inde ; et Isabelle Hairy, architecte-archéologue, ingénieure de recherche au sein de l'Unité Mixte de Recherche - Orient & Méditerranée et chercheure associée au Centre d'Etudes Alexandrines, sous la tutelle du prestigieux Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) en France. Qu’il s’agisse d’aider les personnes âgées à mieux vivre, de comprendre les mouvements de l'eau en cas d’inondation, ou de reconstruire des chefs-d'œuvre historiques dans le monde virtuel : toutes trois travaillent sur des projets novateurs soutenus par La Fondation Dassault Systèmes.
Urva Ishtiaq: “Tu ne ressembles pas à une élève scientifique!”
Urva Ishtiaq est étudiante à l'Université de Clarkson, dans l’État de New York, où elle poursuit un double diplôme en génie mécanique et génie aérospatial. Elle est née et a grandi au Pakistan, où elle a étudié dans une école britannique avant de s’envoler pour les États-Unis dans le cadre de ses études universitaires. Au sein de l’université de Clarkson, Urva travaille aujourd’hui sur les projets d’un laboratoire de recherche appelé Assistive + Intelligent Device FAB-rication (AIDFab) Facility, soutenu par la Fondation Dassault Systèmes, qui rassemble étudiants et professeurs de différentes disciplines afin de développer des dispositifs d’assistance intelligents visant à améliorer l'autonomie des personnes âgées au sein de la communauté locale.
« Je veux avoir un impact sur la vie des gens qui m’entourent », nous a-t-elle confié. En contribuant à la conception et la construction d’un fauteuil roulant permettant à une dame âgée de continuer à jardiner, elle a pu apprécier l’utilité de son travail et souhaite aujourd’hui travailler dans l’industrie afin d’entretenir ce sentiment.
Urva sera diplômée au printemps prochain et est impatiente d'intégrer le « monde réel » du travail ; mais elle y entre également avec une certaine appréhension au regard des disparités de genre qu'elle a commencé à percevoir en tant qu'étudiante.
Élevée par des parents ayant tous les deux fait des études scientifiques et obtenu leur MBA par la suite (son père est devenu officier dans la Marine), Urva a grandi entre sous-marins, navires, hélicoptères et engins aérospatiaux. Dès son plus jeune âge, la science et la technologie représentaient à ses yeux un monde extraordinaire et inconnu qu’elle rêvait d’explorer. Cependant, malgré le soutien indéfectible de son entourage, elle s’est vite rendue compte que les stéréotypes de genre seraient toujours présents en toile de fond de sa future carrière, en particulier dans un secteur qui reste encore aujourd’hui très masculin. « La situation est peut-être différente dans les pays occidentaux », pensait-elle alors, au Pakistan. Mais son expérience aux États-Unis lui a montré que les stéréotypes pouvaient persister partout dans le monde, bien qu’à des niveaux différents, et ce quel que soit le pays.
« Tu ne ressembles pas vraiment à une élève scientifique ! », remarquait un de ses camarade de classe en terminale. Comme si le fait d’être féminine ou d’avoir les cheveux lâchés était incompatible avec des études d’ingénieur. Selon Urva, les femmes sont malheureusement jugées en premier lieu sur leur apparence. « Si vous êtes trop féminine, si vous portez du vernis à ongles ou des vêtements colorés, vous n’êtes pas prise au sérieux pour votre travail ou vos idées ». D’autre part, les femmes se heurtent bien souvent à une certaine résistance lorsqu'elles cherchent à s’impliquer dans des activités manuelles parce qu'il existe une croyance selon laquelle « elles n'aiment pas se salir les mains ».
Pour Urva, ces préjugés de genre sont ancrés en nous dès l'enfance. « Les poupées ou les puzzles façonnent une personne d'une certaine manière », explique-t-elle. « Pour s’attaquer à ces problèmes, il faut faire évoluer la culture de manière profonde », nous dit-elle. Comment ? En faisant particulièrement attention à ce que nous disons aux filles par exemple, en commençant à exposer filles et garçons à la science dès le plus jeune âge par le biais d’événements ou d’activités d’exploration scientifique, ou bien en encourageant les filles à s'intéresser aux STIM via des programmes spécifiques.
« J'ai l'impression de toujours essayer d’en faire plus pour plaire aux gens, pour qu'ils pensent que je fais du bon travail »
Selon elle, l'écart entre les genres est également exacerbé par le manque d'exemples et de rôle modèles accessibles au sein de la communauté scientifique pour inspirer les jeunes filles et les femmes et les inciter à se démarquer. Elles ont ainsi tendance à s’auto-censurer, le plus souvent par manque de confiance en soi. « Le syndrome de l'imposteur fait partie de la vie de toutes les femmes », dit Urva. Et d’ajouter : « Mettre en avant des modèles féminins reste très important ».
Urva reste cependant optimiste quant à la situation. D'abord, parce qu'elle a la chance de travailler actuellement au sein d’une équipe très inclusive et attentive, dans laquelle elle peut s'épanouir en tant que femme, mais surtout en tant qu'ingénieure. Ensuite, grâce à l'éducation qu'elle a reçue et qui l'a toujours encouragée à poursuivre ses ambitions. « Il y a toujours une solution : le travail paie », nous confie-t-elle. Comme le lui disaient ses parents, elle souhaite elle aussi encourager les filles qui envisagent de faire les mêmes études : « Si vous savez que vous pouvez le faire, n’hésitez pas, allez-y ! »
Dr. Reshmi Devi T.V : "J'ai eu la chance de ne pas être élevée en tant que fille, mais en tant qu'enfant"
Dr. Reshmi Devi T.V. est professeure adjointe au Département de Génie Civil du B.M.S. College of Engineering de Bangalore, en Inde. Elle est responsable du Water Research Lab, un laboratoire de recherche sur l'eau, dont les travaux portent sur la gestion de l'irrigation, l'hydrologie des eaux de surface, la modélisation des systèmes hydrologiques, la planification et la gestion des ressources en eau (y compris l'IA et les systèmes d’aide à la décision), ou encore l'évaluation de l'impact du changement climatique. Elle a publié plus de nombreux articles dans diverses revues et a participé à de nombreuses conférences nationales et internationales. Avec le soutien de La Fondation Dassault Systèmes, elle travaille actuellement sur un projet de création de contenus pédagogiques interactifs autour de la simulation prédictive des inondations, de la cartographie des risques et de la prédiction des mesures d'atténuation.
Si le chiffre d’une femme sur trois chercheurs dans le monde peut paraître faible pour un Européen, Reshmi Devi souligne à quel point il lui semble élevé par rapport à la situation en Inde. Dans le pays le plus peuplé du monde, les jeunes femmes ne poursuivent généralement pas d’études supérieures ou, si elles le font, elles les abandonnent en général assez vite pour donner la priorité à leur famille.
Cependant, Reshmi Devi a toujours eu la chance de bénéficier du soutien de son entourage, ce qui lui a permis de réaliser ses ambitions. Petite fille, elle aimait déjà la science et les mathématiques, et ses parents ont su encourager ses aspirations. « J'ai eu la chance de ne pas être élevée en tant que fille, mais en tant qu'enfant », nous partage-t-elle. Très jeune, ses parents l'ont poussée à poursuivre des études, à obtenir un emploi et à devenir indépendante. Douée en mathématiques, l’ingénierie s’est imposée comme un choix évident. Lorsqu'elle est entrée à l’université, elle a d’abord pensé que le génie civil serait un domaine réservé aux hommes, mais en suivant son cursus, elle n'a finalement perçu aucune restriction liée à son genre. « Tout ce que les hommes pouvaient faire, nous pouvions le faire également ! », nous dit-elle. Reshmi Devi imaginait rencontrer plus d’obstacles dans la suite de son parcours, mais cela n'a finalement pas été le cas.
Malheureusement, l'histoire de Reshmi Devi n’est pas celle de toutes les jeunes indiennes. De nombreuses familles ne veulent pas voir leurs filles partir (que ce soit pour des raisons de sécurité ou par devoir familial et culturel) et les disparités de genre sont profondément ancrées dans la société indienne. « Cette façon de penser nous a été transmise, que nous le voulions ou non. Dans notre culture, les femmes sont censées s'occuper de leur famille, un point c’est tout », dit-elle. Ceci explique que lorsque les femmes se retrouvent à devoir choisir entre carrière et famille, quelle que soit leur position, leur choix est préétabli : elles retournent chez elles pour s'occuper de leurs proches.
Néanmoins, la culture évolue dans le pays et de nombreux programmes de lutte contre les stéréotypes voient le jour, encourageant les filles et les femmes à travailler, à avoir des ambitions professionnelles, à poursuivre une carrière et à devenir indépendantes.
"Tant que vous vous respectez, tant que vous restez fidèle à vos valeurs, les autres vous respecteront"
Ce dont les jeunes indiennes ont besoin aujourd’hui, c’est d’un plus grand nombre de modèles. « J'ai eu la chance d'avoir une femme comme directrice de thèse : quelqu'un que je pouvais imiter », déclare Reshmi Devi, soulignant ainsi l'importance d’avoir une source d’inspiration pour susciter une vocation ou façonner une carrière. Comment gérer son temps ? Comment concilier famille et travail ? Le fait d’obtenir une réponse à ce type de questions a été crucial pour donner des perspectives à la jeune étudiante qu'elle était.
A l’université, Reshmi Devi faisait également partie d'un groupe de femmes chercheuses. « Savoir qu’en tant que femmes, nous pouvions nous débrouiller seules m'a permis de prendre confiance en moi. Nous étions capables de tout ! »
Bien qu’un changement sociétal profond soit nécessaire, Reshmi Devi a un message plein d'espoir pour les jeunes indiennes rêvant d’un parcours scientifique : « Quoi que vous décidiez, sachez que vous pouvez le faire. » Elle espère les pousser à ouvrir leurs horizons, à trouver de l'inspiration et à voir que oui, leur rêve est tout à fait réalisable. « Ne restez pas toujours au même endroit, explorez le monde, expérimentez, sortez et acceptez de faire des erreurs », conclut-elle.
Isabelle Hairy : "Ma condition de femme ne m’a jamais stoppée dans mes envies"
Architecte-archéologue française, ingénieure de recherche au sein de l'UMR Orient & Méditerranée et chercheure associée au Centre d'Études Alexandrines (CEAlex) sous la tutelle du CNRS depuis 2013, Isabelle Hairy a passé 30 ans à creuser les sous-sols de l’Égypte. De retour en France, elle supervise aujourd’hui les fouilles sous-marines du site de Qaitbay à Alexandrie. La Fondation Dassault Systèmes soutient plus particulièrement son dernier projet, qui consiste à fusionner données archéologiques, iconographie et données textuelles afin de construire, grâce à la technologie 3D, un jumeau virtuel du phare d'Alexandrie, l'une des Sept Merveilles du Monde, grâce à l'aide et à l’expertise des volontaires en mécénat de compétences de Dassault Systèmes. Selon elle, « l’apport des technologies 3D aux fouilles sous-marines a révolutionné les méthodes de travail du secteur ».
Si Lara Croft éclipse parfois Indiana Jones dans l’imaginaire collectif, Isabelle nous confie que l'histoire et l'archéologie restent dominées par les hommes et sont régies par des règles patriarcales. Elle regrette également que les choses n’aient que très peu évolué au cours des dernières décennies. Carrières à géométrie variable, reconnaissance difficile, barrières mentales : les femmes luttent toujours face à ce qu'elle définit comme un « archéo-sexisme » persistant.
Qu’il s’agisse de remarques ou de regards désobligeants, d’un manque de respect de l’intimité ou de plaisanteries sur leurs capacités physiques, les chantiers archéologiques peuvent être un vrai cauchemar pour les femmes à de nombreux égards. Mais l'écart entre les genres se manifeste également de manière plus subtile, comme par exemple à travers les professions spécifiques auxquelles les femmes sont confinées en archéologie : arts, céramique, bijouterie, etc. Et si elles sont de plus en plus nombreuses à rejoindre la profession, surtout en France, les femmes sont toujours relativement peu promues à des postes de direction.
Isabelle note également qu'en dépit des mentalités qui évoluent dans ce domaine, les femmes succombent toujours à une certaine forme de pression sociale ou à des contraintes familiales auxquelles les hommes ne sont pas confrontés. Leur temporalité n'est pas la même que celle des hommes, et les femmes sont souvent marginalisées si elles déclinent une invitation à se rendre à un colloque ou sur un chantier, par exemple.
"Le temps d'une femme n'est absolument pas le temps d'un homme"
Par conséquent, même si les femmes de science possèdent des « compétences créatives extrêmement développées », elles les cachent bien souvent derrière une « cape d'invisibilité », selon les mots d'Isabelle, se fabriquant ainsi une enveloppe construite à partir de stéréotypes intégrés depuis l'enfance. Par essence, les femmes se « montrent moins » parce qu'elles veulent éviter des réactions genrées, aussi bien de la part des hommes que des femmes.
Malgré ces défis, Isabelle s’estime chanceuse. Ayant fait carrière en Égypte, elle n'a pas été confrontée à des attitudes sexistes, du moins « beaucoup moins qu'en France », note-t-elle. Ayant travaillé quotidiennement avec des hommes pendant 30 ans, elle observe que les égyptiens respectent davantage les femmes de pouvoir et de science. Elle n'a jamais vraiment eu à répondre à des remarques sexistes, et l'entraide était monnaie courant sur les chantiers quand il s’agissait de réaliser des tâches physiquement exigeantes.
« Ma condition de femme ne m’a jamais stoppée dans mes envies », ajoute-t-elle. Aventurière de la première heure, Isabelle obtenait son permis moto avant même de savoir conduire une voiture et, à 14 ans, elle partait déjà explorer les routes d'Europe seule sur son vélo. « Quand on est déterminé, on avance, quels que soient les obstacles ». Sa passion pour l'archéologie, un métier captivant qui cherche à dévoiler secrets et mystères ancestraux, a nourri au fil des ans le plaisir qu’elle éprouve à travailler. « L’archéologie est vraiment une profession par laquelle on vit pleinement, et avec le cœur », ajoute-t-elle.
C'est ainsi qu'elle aimerait conclure, en inspirant les jeunes filles qui voudraient suivre ses traces : « Soyez une Lara Croft, soyez une combattante ! Et surtout, écoutez votre voix intérieure et libérez-vous de la pression sociale ».